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Dette er teksten til mændenes dans fra Estienne Groulleau's Grand' Danse Macabre (her er kvindernes dans).
Rækkefølgen er den samme som i Troyes, dvs. at der ikke er et tredje vers til ågerkarlens kunde eller til eremitten, og at hellebardist og nar kommer før degn og eremit. Af uransagelige årsager mangler den indledende autoritet.
Teksten har en del ændringer i forhold til andre (tidligere) kilder: Linje 59, 75, 194 er skrevet helt om, og det samme gælder Dødens 5 første linjer af karteuseren.
Jeg har rettet to små fejl: "conforre" ⇒ "conforte" (157) og "laqz" ⇒ "laz" (169).
Her kommer teksten i samme rækkefølge som i bogen.
Le premier mort.
Vous qui par diuine sentence
Viuez en maintz estatz diuers
Tous danserez en ceste danse
Vnefois & bons & peruers:
Et si seront mengez de vers
Voz corps, helas regardez nous!
Mortz pourriz, puantz, descouuers,
Comme sommes, telz serez vous
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Le second mort.
Dites nous par quelles raisons
Vous ne pensez point à morir,
Quand la mort va en voz maisons
Huy l'vn demain l'autre querir,
Sans qu'on vous puisse secourir:
C'est mal vescu de n'y penser,
Et trop grand danger de perir:
Force est qu'il faille ainsi danser.
Le tiers mort.
Entendez ce que ie vous dis
Ieunes & vieux, petis & grands
De iour en iour, selon les ditz
Des sages, vous allez morans:
Car voz cueurs vont diminuans,
Pourquoy tous serez trespassez.
Ceux qui viuent deuant cent ans,
En cent ans seront tous passez.
Le quart mort.
Deuant qu'il soir cent ans passez,
Tous les viuans comme ie dis,
De ce monde seront passez
En enfer, ou en paradis.
Mon compagnon, mais ie te dis,
Peu de gens sont qui ayent cure
Des trespassez, ne de noz ditz,
Le fait d'eux gist en auanture,
La mort
Vous qui viuez certainement
Quoy qu'il tarde ainsi danserez:
Mais quand? Dieu le sçait seulement,
20
Auisez comme vous ferez,
Dam Pape vous commencerez,
Comme le plus digne seigneur,
En ce point honoré serez,
Au grand maistre est bien deu l'honneur.
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Le Pape,
25
Ho! fault il que la danse meine
Le premier, qui suis Dieu en terre?
I'ay eu dignité souueraine
En l'eglise comme saint Pierre,
Et comme autre, mort me vient querre,
30
Encores morir ne cuidasse,
Mais la mort à tous meine guerre,
Peu vault honneur qui si tost passe.
La mort
Et vous le nompareil du monde,
Prince & seigneur, grand emperiere,
35
Laisser vous fault la pomme ronde,
Armes, sceptre timbre, baniere,
Ie ne vous lairray pas derriere,
Vous ne pouez plus seigneurir,
I'emmene tout, c'est ma maniere,
40
Les filz d'Adam fais tous morir.
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L'Empereur.
Ie ne sçay deuant qui i'appelle
De la mort,qu'ainsi me demaine,
Armer me fault de pic & pelle,
Et d'vn linseul, ce m'est grand' peine:
45
Sur tout ay eu grand heur mondaine,
Et morir me fault pour tout gage,
Qu'est-ce de ce mortel demaine,
Les grands ne l'ont pas d'auantage.
La mort.
Vous faites l'esbahy, ce semble,
50
Cardinal, sus legerement,
Suyuons les autres tous ensemble,
Rien n'y vault esbahyssement:
Vous auez vescu haultement,
En honneur & à grands deuis
55
Prenez en gré l'esbatement
En grand honneur se pert aduis.
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Le cardinal.
I'ay bien cause de m'esbahyr,
Quand ie me voy de si pres pris,
Puis qu'il fault le monde enuahir,
60
Plus ne vestiray verd ne gris:
Chappeau rouge, chappe de pris
Me fault laisser à grand' destresse,
Ie ne l'auoye pas apris,
Toute ioye fine en tristesse.
La mort.
65
Venez noble Roy coronné,
Renommé de force & prouësse,
Iadis fustes enuironné,
De grands pompes de grand' noblesse:
Mais maintenant toute haultesse
70
Laisserez,vous n'estes pas seul,
Peu aurez de vostre richesse,
Le plus riche n'a qu'vn linsseul.
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Le Roy
Ie n'ay pas aprins a danser,
A danse & note si sauuage,
75
Que m'a valu tant amasser?
Que vault orgueil? force, lignage?
Mort destruit tout, c'est son vsage,
Aussi tost le grand que le mendre,
Qui moins se prise, plus est sage,
80
En la fin fault deuenir cendre.
La mort
Legat, vous estes arresté,
Dehors n'yrez, ie vous affie,
Tenez-vous seur & appresté,
Pour morir, ie vous certifie,
Que mort auiourd'huy vous deffie,
Entendez y, c'est vostre fait,
En vie longue nul ne se fie,
Le vouloir de Dieu sera fait.
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Le Legat
Du Pape i'auois la puissance,
Se ne fust cest empeschement,
D'aller comme Legat en France:
Mais faire me fault autrement:
Car morir vois, quand ou comment,
Ny en quel lieu, ie ne sçay pas,
Dieu est qui le sçait seulement,
Mort suyt l'homme pas apres pas.
La mort
Tresnoble duc, renom auez
D'auoir fait par vostre prouësse,
Par tout ou vous estes trouuez
Beaux faitz d'armes, & de noblesse:
Monstrez cy vostre hardiesse,
Et dansez pour gaigner le pris,
Mort de chasser humains ne cesse,
Souuent les grands sont premiers pris.
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Le Duc
De mort suis assailly tresfort,
Et ne sçay tour pour me defendre,
Ie voy que la mort le plus fort
Comme le foible tend à prendre:
Que doy-ie faire? il fault l'attendre
Paciemment, & de bon cueur,
A Dieu de ses biens grace rendre,
Hault estat n'est pas le plus seur.
La mort.
Patriarche, pour basse chere
Vous ne pouez estre quitté,
La double croix qu'auez si chere
Vn autre aura, c'est equité:
85
Ne pensez plus à dignité,
Ia ne serez pape de Rome,
Pour rendre conte estes cité,
Folle esperance deçoit l'homme.
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Le Patriarche
Bien apperçoy que grand honneur
90
M'a deceu. pour dire le voir,
Mes ioyes tournent en douleur,
Et que vault tant d'honneur auoir?
Trop hault monter n'est pas sçauoir:
Haultz estatz trompent gens sans nombre,
95
Mais peu le veulent parceuoir,
A hault monter le fais encombre.
La mort.
C'est de mon droit que ie vous meine
A la dance, gent Connestable,
Les plus fors, comme Charlemaigne
100
Mort prend, c'est chose veritable:
Rien n'y vault chere espouentable,
N'armes fortes en cest assault,
D'vn coup i'abatz le plus estable,
Rien n'est d'armes quand mort assault.
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Le Connestable.
105
I'auois encore intention
D'assaillir chasteaux, forteresses,
Et mettre à ma subiection,
En acquerant honneur richesses:
Mais ie voy que toutes prouësses
110
Mort met au bas, c'est grand despit,
Tout luy est vn, douceur, rudesse,
Contre la mort n'a nul respit.
La mort.
Que vous tirez la teste arriere
Archeuesque, tirez-vous pres,
115
Auez-vous paour qu'on ne vous fiere?
Ne doutez, vous viendrez apres,
N'est pas tousiours la mort empres,
Tout homme la suyt coste à coste,
Rendre conuient debtes & prestz.
120
Vne fois fault conter à l'hoste
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L'Archeuesque
Las! ie ne sçay ou regarder,
Tant suis de mort tenu d'estroit,
Ou fuyray-ie pour moy ayder,
Certes qui bien la cognoistroit,
125
Hors de raison iamais n'istroit,
Plus ne gerray en chambre painte,
Morir me conuient, c'est le droit,
Quand faire fault, c'est grand' contrainte,
La mort.
Vous qui hantez les grans barons
130
Auez eu renom cheualier,
Oubliez trompettes, clairons,
Et me suyuez sans sommeiller,
Les dames souliez resueiller,
En faisant de la bonne piece,
135
A autre danse fault veiller,
Ce que l'vn fait l'autre despiece.
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Le Cheualier.
Or ay-ie esté autorisé
En plusieurs faitz, & bien famé,
Des grands, & des petis prise:
140
Auec ce des dames aymé,
Ny oncques ne fus diffamé
A la court de seigneur notable,
Mais à ce coup suis tout pasmé,
Dessouz le ciel n'y a rien stable.
La mort.
145
Tantost n'aurez vaillant vn pic
Des biens du monde & de Nature,
Euesque, de vous il est pic,
Nonobstant vostre prelature:
Vostre fait gist en auenture,
150
De voz subietz fault rendre conte,
A chacun Dieu fera droiture
Pas n'est asseur qui trop hault monte.
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L'euesque.
Le cueur ne me peult esiouyr,
Des nouuelles que mort m'apporte,
155
Dieu vouldra du tout conte ouyr,
C'est ce que plus me desconforte:
Le monde aussi peu me conforte,
Qui tout à la fin desherite,
Il retient tout, nul rien n'emporte,
160
Tout ce passe fors le merite.
La mort.
Auancez-vous gent Escuyer,
Qui sçauez de danser les tours,
Lance & escu portiez hyer,
Auiourd'huy finerez voz iours:
165
Il n'est rien qui ne prenne cours.
Dansez, & pensez de suyuir.
Vous ne pouuez auoir secours,
Il n'est nul qui mort puist fuyr.
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L'Escuyer.
Puis que mort me tient en ses laz,
170
Aumoins que ie puisse vn mot dire:
Adieu deduit adieu soulas,
Adieu dames, plus ne puis rire,
Pensez de l'ame qui desire
Repos ne vous chaille plus tant
175
Du corps, qui tous les iours empire,
Tous fault morir, on ne sçait quand.
La mort.
Abbé venez tost, vous fuyez
N'ayez pas la chere esbahye,
Il conuient que la mort suyuiez,
180
Combien que moult l'auez haïe,
Commendez à Dieu l'abbaye,
Qui gros & gras vous a nourry.
Tost pourrirez ie vous affie,
Le plus gras est premier pourry.
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L'Abbé.
185
De cecy n'eusse point d'enuie,
Mais il conuient le temps passer,
Las! or n'ay-ie pas en ma vie
Gardé mon ordre sans cesser:
Gardez-vous de trop embrasser
190
Vous qui viuez, au demeurant
Si vous voulez bien trespasser.
On s'auise tard en morant
La mort.
Baillif qui sçauez de iustice
Les explois & subtilz moyens,
195
Pour gouuerner toute police,
Venez tost, est venu le temps,
Ie vous adiourne, ie l'entends,
Pour rendre conte de voz faitz
Au grand iuge, car ie pretends,
200
Qu'vn chacun portera son faiz.
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Le baillif.
Ha Dieu voicy dure iournée,
De ce coup pas ne me gardoye,
Or est la chanse bien tournée,
Entre iuges honneur auoye,
205
Et mort fait r'aualler ma ioye,
Qui m'adiourne, sans nul r'appel,
Ie n'y voy plus ne tour ne voye.
Contre la mort n'a point d'appel.
La mort.
Maistre pour vostre regarder
210
En hault, ny pour vostre clergie
Ne pouuez la mort retarder,
Cy ne vault rien astrologie:
Toute la genealogie
D'Adam, qui fut le premier homme,
215
Mort prend, ce dit Theologie,
Tous fault morir pour vne pomme.
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L'Astrologien.
Pour sciences ne pour degrez
Ne puis auoir prouision,
Car maintenant tous mes degrez
220
Vont morir à confusion:
Pour finalle conclusion,
Il ne fault plus que riens descriue
Ie pers cy toute auision,
Qui vouldra bien morir, bien viue.
La mort.
225
Bourgeois, hastez-vous, sans tarder,
Vous n'auez auoir ne richesse
Qui vous puisse de mort garder,
Des biens, dont vous eustes largesse,
Auez bien vse, c'est noblesse,
230
D'autruy vient tout, à autruy passe
Fol est qui d'amasser se blesse,
On ne sçait pour qui on amasse.
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Le Bourgeois
Grand mal me fait, si tost laisser
Rentes, maisons, cens, nourriture,
235
Et mes richesses abaisser
Tu fais, mortelle est ta nature,
Sage n'est pas la creature
D'aymer trop les biens qui demeurent
Au monde, & sont siens de droiture,
240
Ceux qui plus ont plus enuis meurent.
La mort.
Sire Chanoyne, brebendez,
Plus n'aurez distribution,
Ne gros, ne vous y attendez,
Prenez cy consolation,
245
Pour toute retribution
Morir vous conuient sans demeure,
Ia n'y aurez dilation,
La mort vient qu'on ne garde l'heure.
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Le Chanoyne.
Cecy gueres ne me conforte,
250
Prebende suis en mainte eglise,
Or est la mort plus que moy forte,
Qui tout emmeine, c'est sa guise,
Blanc surplis & aumusse grise
Me fault laisser, & à mort rendre,
255
Que vault gloire si tost bas mise,
A bien morir doit chacun tendre.
La mort.
Marchant, regardez par deça,
Plusieurs pays auez cherché
A pied, à cheual, de pieça,
260
Vous n'en serez plus empesché,
Voicy vostre dernier marché,
Il conuient que par cy passez,
De tout soing serez despesché,
Tel couuoite qui a assez.
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Le Marchant.
265
I'ay esté à mont & à val
Pour marchander, ou ie pouuoye
Par long temps à pied, à cheual,
Maintenant ie pers toute ioye:
De tout mon pouuoir acqueroye,
270
Or ay-ie assez, mort me contraint,
Bon fait aller moyenne voye,
Qui trop embrasse, mal estraint.
La mort.
Plusieurs hommes sont chers tenus
Au siecle, & en religion,
Lesquelz, toutesfois, sont venus
De bien basse condition,
La doctrine & correction
De vous maistre, telles a fait,
Or morrez-vous conclusion,
Homme par mort est tost deffait.
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Le maistre d'escolle
Grammaire est science sans fable,
De toutes autres l'ouuerture,
A ieunes enfans conuenable,
Car sans elle,ie vous asseure,
D'autres sciences on n'a cure
Bouter en son entendement:
Ainsi le veult Dieu & Nature,
Par tout il fault commencement.
La mort.
Sur coursier ne cheual de pris
L'homme d'armes ne monterez
Plus, puis que la mort vous a pris,
Auisez comme vous ferez,
Le monde tantost laisserez,
N'entendez plus courir la lance,
Regardez moy, tel vous serez,
Les yeux de mort sont à outrance.
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L'homme d'armes
Adieu le seruice du Roy
Que soulois faire soir & main,
De mort suis prins à desarroy
Sans respit, iusques à demain,
A ceste danse par la main
Ie suis mené piteusement:
Mort y contrainct tout homme humain,
Morir fault on ne sçait comment.
La mort.
L'homme cheualeureux & fort
Eust il du monde la puissance,
275
Resister ne peult à la mort
Quand Dieu a donné sa sentence:
Vous aussi homme d'abstinence
De plus viure n'ayez memoire,
Faites vous valloir à la danse,
280
Sur tout homme mort a victoire.
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Le Chartreux.
Ie suis au monde pieça mort,
Parquoy de viure ay moins d'enuie.
Iaçoit que tout homme craint Mort.
Puis que la chair est assouuie:
285
Plaise à Dieu que l'ame rauie
Soit es cieux apres mon trespas
C'est tout neant de ceste vie,
Tel est huy qui demain n'est pas.
La mort.
Sergent qui portez ceste mace,
290
Il semble que vous rebellez,
Pour neant faites la grimace,
S'on vous griefue si appellez:
Vous estes de mort appellez,
Qui luy rebelle il se deçoit,
295
Les plus fors sont tost r'auallez,
Il n'est fort qu'aussi fort ne soit.
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Le Sergent
Moy qui suis royal officier,
Comme m'ose la mort frapper,
Ie faisois mon office hyer,
300
Et elle me vient huy happer,
Ie ne sçay par ou eschapper,
Ie suis prins deça & dela,
Maugré me fault laisser happer,
Enuis meurt qui aprins ne l'a.
La mort.
315
Ha maistre! par là passerez,
Ia n'est besoing de vous deffendre,
Plus en vostre conuent n'yrez,
Apres moyne, sans plus attendre,
Ou pensez-vous? cy fault entendre,
310
Tantost aurez la bouche close,
Homme n'est fors que vent & cendre,
La vie est doncq' bien peu de chose.
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Le Moyne.
I'aymasse mieux encores estre
Au cloistre faire mon seruice
315
C'est vn lieu deuot & bel estre:
Or ay-ie comme fol & nice
Au temps passe commis maint vice,
Dequoy n'ay pas fait penitence
Suffisant', Dieu me soit propice,
320
Chacun n'est pas ioyeux qui danse.
La mort.
Vsurier de sens desriglé.
Venez tost, & me regardez,
D'vsure estes tant aueuglé
Pour argent gaigner, tout ardez,
325
Mais vous en serez bien lardez,
Car Dieu qui est si merueilleux
N'a pitié de vous, tout perdez,
A tout perdre est coup perilleux.
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L'Vsurier.
Me conuient il si tost morir?
330
Ce m'est grand' peine & greuance,
Et si ne me peult secourir
Mon or, ne toute ma cheuance:
Ie vois morir, la mort m'auance,
Mais il m'en desplaist, somme toute,
335
Qu'est ce que male accoustumance?
Tel a beaux yeux qui ne void goutte.
La mort.
345
Medecin, à tout vostre vrine,
Ne voyez-vous cy qu'amender,
Iadis sceustes de medecine
Assez pour pourueoir commander.
Or vous vient la mort demander,
350
Comme les autres fault morir,
Vous n'y pouez contremander,
Bon mire est qui se sçait garir.
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Le Medecin.
Long temps a qu'en l'art de Phisique
I'ay mis toute mon estudie,
355
I'auois la science & praticque
Pour garir mainte maladie,
Ie ne sçay que ie contredie,
Plus n'y vault herbe ny racine
N'autre remede quoy qu'on die,
360
Contre la mort n'a medecinc
La mort.
Bel amoureux gentil & frisque,
Qui vous cuydez de grand' valeur,
Vous estes prins, la mort vous picque,
Le monde lairrez à douleur,
365
Trop l'auez aymé c'est malheur
Et à morir peu regardé,
Tantost vous changerez couleur,
Beauté n'est qu'ymage fardé.
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L'Amoureux.
Helas! or n'y a il secours
370
Contre mort, adieu amourettes,
Moult tost va ieunesse à decours,
Adieu chappeaux, bouquetz, fleurettes,
Adieu amans & pucelettes,
Souuienne vous de moy souuent,
375
Et vous mirez, si sages estes,
Petite pluye abbat grand vent.
La mort.
Aduocat, sans long proces faire,
Venez vostre cause plaider,
Bien auez sceu les gens attraire
380
De pieça, non pas d'huy ne d'hyer,
Conseil cy ne vous peult ayder.
Au grand iuge vous fault venir,
Sçauoir le deuez sans cuyder,
Bon fait iustement paruenir.
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L'Aduocat.
385
C'est bien droit que raison se face,
Icy ne sçay mettre deffense,
Contre mort n'a respit ne grace,
Nul n'appelle de la sentence:
I'ay eu de l'autruy, quand i'y pense,
390
Dont i'ay doute d'estre repris,
A craindre est le iour de vengeance,
Dieu rendra tout à iuste pris.
La mort.
Menestrier qui danser es nottes
Sçauez & auez beau maintien,
395
Pour faire esiouyr sotz & sottes,
Qu'en dites-vous? allons-nous bien?
Monstrer vous fault, puis que vous tien,
Aux autres cy vn tour de danse,
Le contredire n'y vault rien,
400
Maistre doibt monstrer sa science.
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Le Menestrier
De danser ainsi n'eusse cure,
Certes tresenuy ie m'en mesle:
Car de mort n'est peine plus dure,
I'ay mis souz le banc ma vielle,
405
Plus ne corneray sauterelle
N'autre danse, car mort me tient,
Il me fault obeïr à elle,
Telle danse point ne me vient.
La mort.
Passez curé sans long songer,
410
A moy estes habandonné,
Le vif, le mort souliez menger,
Mais vous serez aux vers donné:
Vous fustes iadis ordonné
Miroir d'autruy, & l'exemplaire,
415
De voz faitz serez guerdonné,
A toute peine est deu salaire.
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Le Curé.
Vueille ou non, il fault que me rende,
Il n'est homme que mort n'assaille,
De mes paroissiens l'offrande
420
N'auray iamais, ne funeraille,
Deuant le iuge fault que i'aille
Rendre conte, las douloureux!
Or ay-ie grand' paour que ne faille,
Qui est quitte il est bien heureux.
La mort.
425
Laboureur qui en soing & peine
Auez vescu tout vostre temps,
Morir fault c'est chose certaine,
Reculer n'y fault sois contens
De mort, car bien tost ie pretens
430
Que de tous maux seras deliure,
Approchez-vous, ie vous attens,
Fol est qui cuyde tousiours viure.
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Le Laboureur
I'ay souhaité la mort souuent
Mais volontiers ie la fuisse,
435
I'aymasse mieux fist pluye ou vent
Estre aux vignes, ou ie fouysse,
Encor' plus grand plaisir y prinse:
Car ie pers de paour tout propos,
Or n'est il qui de ce pas ysse,
440
Au monde n'a point de repos.
La mort
Promoteur, venez à la court
Tantost, & soyez auisé
Respondre le long & le court
Du cas qui vous est imposé:
C'est que vous estes accusé
N'auoir pas tousiours iustement
De vostre office bien vsé,
En mal fait gist amandement.
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Le Promoteur.
I'eusse demain receu six soulz
D'vn homme, qui est en sentence,
Pour consentir qu'il fust absoulz,
Si i'eusse esté en l'audience,
Las! il ne me fault penser de ce,
Mort m'a surprins en son embusche,
Prendre me fault en pacience,
Bien charie droit qui ne tresbusche.
La mort.
En soucy, en peine & trauail
As gardé prisons, Geolier,
Bien souuent on t'a fait recueil,
Cuydant dormir ou sommeiller,
Plus il ne t'en fault trauailler,
Vien tost danser sans plus de plet,
Maintenant te fault esueiller,
Il fault morir quand à Dieu plaist.
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Le Geolier.
Ie tenois des bons prisonniers,
Desquelz i'attendois receuoir
Pleine ma bourse de deniers,
Pour leur despense, & pour auoir
Les garder, & fait mon deuoir
De les penser bien loyaument,
Quand on meurt on doit dire voir,
Dieu sçait qui dit vray ou qui ment.
La mort.
Pelerin vous auez assez
Trotté, & fait pelerinage,
Trauaillé estes & lassez,
Bien appert à vostre visage,
C'est cy vostre dernier voyage,
Que bon vous soit, faites deuoir,
La fin coronne tout ouurage,
Selon l'œuure payement auoir.
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Le Pelerin.
En tout temps, yuer & esté,
Voyager estoit mon desir,
Or suis-ie par mort arresté,
I'en louë Dieu, c'est son plaisir,
Et luy pry' qu'il me doïnt loysir
De tous mes pechez confesser,
Pour mon ame en repos gesir,
Vn iour nous faudra tous passer,
La mort.
Berger, dansez legierement,
Icy n'est pas qu'on doit songer,
Voz brebis sont certainement
Maintenant en autruy danger,
Car vous serez, pour abreger,
Tost passé, plus ne pouez viure,
L'estat de l'homme est de changer,
Qui meurt, de maintz maux est deliure,
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Le Berger.
Las! or demeurent en danger
Mes brebis aux champs sans pastour,
Loups affamez pour les menger,
A ceste heure sont à l'entour,
Ou pour leur faire aucun faux tour,
Loups sont mauuais de leur nature,
S'on crye ilz fuyent, puis font retour,
Sur tous viuans mort fait morsure.
La mort.
Faites voye vous auez tort,
Sus Berger, apres Cordelier,
Souuent auez presché de mort
Dont vous deuez moins merueiller,
445
Ia ne s'en fault esmoy bailler.
Il n'est si fort que mort n'arreste,
Si fault il à morir veiller,
A toute heure la mort est preste.
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Le Cordelier.
Qu'est-ce que de viure en ce monde,
450
Nul homme à iamais n'y demeure,
Toute vanité y abonde,
Puis vient la mort qui nous court seure:
Mendicité point ne m'asseure,
Des meffais fault payer l'amende,
455
En bien peu d'heure Dieu labeure,
Sage est le pecheur qui s'amende,
La mort
Petit enfant n'agueres né,
Au monde auras peu de plaisance,
A la danse seras mené
460
Comme autre, car mort a puissance
Sur tout, du iour de la naissance,
Conuient chacun la mort souffrir,
Fol est qui n'en a cognoissance
Qui plus vit, plus a à souffrir.
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Le petit enfant.
465
A, a, a, ie ne sçay parler,
Enfant suis, i'ay la langue mue,
Hyer nasquis, huy m'en fault aller,
Ie ne fais qu'entrée & yssue:
Riens n'ay meffait, mais de paour sue,
470
Prendre en gré me fault c'est le mieux,
L'ordonnance de Dieu ne mue,
Aussi tost meurt ieune que vieux.
La mort.
Sur les champs & par les villages
Auez mengé bonne poullaille,
Beu le vin faisant grands outrages,
Sans payer ne denier ne maille
A tout vostre chappeau de paille,
Hallebardier venez auant,
Vous danserez vaille qui vaille,
Autant vault dernier que deuant,
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Le Hallebardier.
Ie crains trop passer le passage
De mort, quand tresbien i'y regarde,
Qui ne l'a craint il n'est pas sage.
Et rien n'y vault ma hallebarde,
Non feroit pas vne bombarde,
Si ie me cuydoye deffendre,
Chacun se tienne sur sa garde,
Quand mort assault il se fault rendre.
La mort.
Que vous dansiez ce n'est qu'vsage
Mon amy sot, bien vous auient,
Autant le sot comme le sage,
A tout homme danser conuient,
L'escripture, si m'en souuient,
Dit en vn pas, si bien l'entend,
L'homme s'en va, point ne reuient,
Chacune chose à la fin tend.
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Le Sot.
Or sont maintenant bons amys,
Et dansent icy d'vn accord
Plusieurs qui estoient ennemys,
Quand ilz viuoient & en discord,
Mais la mort les a mis d'accord,
Laquelle a fait estre tout vn
Sages & sotz, quand Dieu l'accord,
Tous mors sont d'vn estat commun.
La mort.
Cuydez-vous de mort eschapper
Clerc esperdu, pour reculler?
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Il n'en fault la fuyte happer,
Tel cuyde souuent hault aller,
Qu'on void à coup tost r'aualler,
Prenez en gré, allons ensemble,
Car rien n'y vault le rebeller,
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Dieu punit tout quand bon luy semble
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Le Clerc.
Fault il qu'vn icune clerc seruant,
Qui en seruice prend plaisir,
Pour cuyder venir en auant
Meure si tost? c'est desplaisir,
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Ie suis quitte de plus choisir
Autre estat, il fault qu'ainsi danse,
La mort m'a prins à son plaisir,
Tard aduient ce que le fol pense.
La mort.
Hermite ne faites refus
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De danser, faites vous valloir,
Vous n'estes pas seul, leuez sus.
Pourtant moins vous en doit challoir:
Venez apres c'est mon vouloir,
Homme nourry en hermitage,
495
Ia ne vous en conuient douloir,
Vie n'est pas seur heritage.
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L'hermite.
Pour vie dure, ou solitaire
Mort ne donne de viure espace,
Chacun le voit, si s'en fault taire,
500
Ie requiers Dieu qu'vn don me face,
C'est que tous mes pechez efface,
Bien suis content de tous ses biens,
Desquelz i'ay vse, de sa grace,
Qui n'a suffisance il n'a riens.
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Le Roy mort.
Vous qui estes en pourtraicture,
Venez danser estatz diuers,
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Pensez qu'humaine creature,
Se n'est fors que viande à vers,
Ie le monstre, qui gis enuers,
Moy qui estoys Roy coronné,
Telz serez-vous bons ou peruers,
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Tout estat est aux vers donné.
L'Acteur.
Rien n'est d'homme, qui bien y pense,
C'est tout vent, chose transitoire,
Chacun le voit par ceste danse,
Pource vous qui voyez l'hystoire,
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Retenez-la bien en memoire,
Car homme & femme elle admoneste
D'auoir de paradis la gloire,
Heureux est qui es cieux fait feste.
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Le Roy mort.
Bon y fait penser soir & main,
Le penser en est profitable,
Tel est huy qui morra demain,
Car il n'est rien plus veritable
Que de morir, ne moins estable.
Que vie d'homme on l'apperçoit
A l'œil: parquoy ce n'est pas fable,
Le fol ne croit tant qu'il reçoit.
L'Acteur.
Mais aucuns sont à qui n'en chault,
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Comme si ne fust paradis,
Ny enfer, ou ilz auront chault,
Les liures que firent iadis
Les saintz, le monstrent en beaux ditz,
Acquitez-vous qui cy passez,
Et faites des biens, plus n'en dis,
Bien fait vault moult aux trespassez.